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samedi 10 avril 2010

Disparition du président polonais Lech Kaczynski et question de la vacance de la présidence

La nouvelle est tombée aux alentours d’onze heures trente aujourd’hui ; un avion Tupolev 154 ayant embarqué entre 85 et 132 personnes s’est écrasé ce matin au moment de son atterrissage à Smolensk (ouest de la Russie). Parmi les occupants de l’appareil, le président eurosceptique polonais Lech Kaczynski et son épouse, le chef de l’état-major de l’armée ainsi que plusieurs hauts responsables, le vice-ministre des Affaires étrangères, Andrzej Kremer, le président de la Banque centrale polonaise Slawomir Skrzypek, des députés, des historiens,… 


A quelques heures du crash se pose ainsi l’évidente question : en cas de vacance de la présidence, à qui revient la charge de diriger le pays ? Pour trouver la réponse, il suffit de se reporter à l’article 131 de la Constitution du 2 avril 1997 qui dispose que :
« 
1.        Si le Président de la République est temporairement empêché d'exercer ses fonctions, il en informe le Président du Sejm qui le supplée provisoirement dans ses fonctions. Lorsque le Président de la République n'est pas en mesure d'informer le Président du Sejm de son empêchement, le Tribunal constitutionnel statue, à la demande du Président du Sejm, sur l'empêchement du Président de la République. En cas d'empêchement temporaire constaté par le Tribunal constitutionnel, celui-ci confie au Président du Sejm l'exercice provisoire des fonctions de Président de la République.
2.       Le Président du Sejm exerce les fonctions de Président de la République à titre provisoire, jusqu'à l'élection du nouveau Président de la République, en cas de :
  1. décès du Président de la République,
  2. renonciation à l'exercice des fonctions par le Président de la République,
  3.  déclaration de nullité de l'élection du Président de la République ou autres empêchements à l'entrée en fonction du Président,
  4. résolution de l'Assemblée nationale reconnaissant l'incapacité permanente du Président de la République d'exercer ses fonctions en raison de son état de santé, adoptée à la majorité des deux tiers des voix au moins du nombre constitutionnel des membres de l'Assemblée nationale,
  5. destitution du Président de la République par décision du Tribunal d'Etat.
3.       Si le Président du Sejm est empêché d'exercer les fonctions de Président de la République, il est suppléé par le Président du Sénat.
4.       La personne exerçant provisoirement les fonctions de Président de la République ne peut décider de l'abrégement de la législature du Sejm. 
»

En l’occurrence, le président de la Diète, chambre basse du parlement polonais, Bronislaw Komorowski, assurera les fonctions de chef de l'Etat et aura pour charge d'organiser de nouvelles élections. L'article 128 deuxièmement de la Constitution polonaise encadre ces élections : 


« 2. Les élections présidentielles sont fixées par le président de la Diète à une date tombant cent jours au plus tôt et soixante-quinze jours au plus tard avant l'expiration du mandat du président de la République en exercice et, en cas de vacance de la Présidence, le quatorzième jour au plus tard après cette vacance, la date des élections étant fixée à un jour férié compris dans les soixante jours à compter de l'annonce des élections. »
Alors que les élections étaient initialement prévues pour octobre - Lech Kaczynski comptait se représenter conformément à la possibilité conférée par le Constitution polonaise d'un second mandat, les polonais seront amenés à choisir leur futur président avant le 24 juin prochain. 







Portrait officiel du Président polonais Lech Kaczynski (1949-2010)




La situation française

Et que serait-il advenu en France ? La Vème République a déjà eu à connaître de cette situation, mais ce fût en un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître.
Le Titre II de la Constitution du 4 octobre 1958 porte sur le Président de la République, allant des articles 5 à 19. En l’espèce, c’est l’article 7 qui nous intéresse et en particulier les alinéas 4 et suivants :

« En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d'empêchement constaté par le Conseil Constitutionnel saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les fonctions du Président de la République, à l'exception de celles prévues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le Président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d'exercer ces fonctions, par le Gouvernement.
En cas de vacance ou lorsque l'empêchement est déclaré définitif par le Conseil Constitutionnel, le scrutin pour l'élection du nouveau président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil Constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l'ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l'empêchement. 
 Il ne peut être fait application ni des articles 49 et 50 ni de l'article 89 de la Constitution durant la vacance de la Présidence de la République ou durant la période qui s'écoule entre la déclaration du caractère définitif de l'empêchement du Président de la République et l'élection de son successeur. »
Comme je le disais précédemment, l’application de cet article a déjà eu  lieu… 2 fois ; ainsi, il manque souvent dans l’esprit de nos citoyens les plus jeunes le nom d’un Président de la République (par intérim) qui s’est fait une spécialité dans ce domaine, d’ailleurs surnommé Manpower par le Parlement : Alain Poher. En tant que président du Sénat, il a eu à assurer la présidence après la démission de Charles de Gaulle en 1969 puis après le décès de Georges Pompidou en 1974[1].

L’intérim est la conséquence de l’empêchement ou de la vacance du chef de l’Etat (maladie, démission, décès) et se trouve assuré par le président du Sénat ou à défaut, par le gouvernement. Il ne peut excéder 35 jours, une nouvelle élection présidentielle devant avoir lieu. Le président intérimaire dispose de tous les pouvoirs présidentiels exceptés ceux des articles 11 (référendum), 12 (dissolution), 49 et 50 (motion de censure), 89 (révision de la Constitution) ; en effet, le président intérimaire ne peut engager la présidence pour l’avenir.





Portrait du Président par intérim Alain Poher (1909-1996)


Ce billet n’avait pas d’intérêt manifeste à part de profiter (outrageusement) de l’actualité afin de rappeler les mécanismes constitutionnels protégeant la France de la vacance de son Président.

Je terminerai simplement en adressant mes plus sincères condoléances aux familles des victimes et en ayant une pensée pour tous les polonais qui ont une nouvelle fois perdu leur élite[2].



Omnibus.



[1] : Le plus navrant dans l’histoire est sûrement que s’était présenté contre Georges Pompidou aux élection de 1969, il avait été battu au second tour par ce dernier.

[2] : Le président polonais et de nombreux dignitaires étaient en route pour Katyń, près de Smolensk, afin de se recueillir sur les tombes d’officiers polonais, de personnalités, de membres des élites polonaises hostiles à l’idéologie communiste, ainsi que d’étudiants exécutés par la police de Staline (le NKVD) il y a 70 ans où cours du massacre de Katyń.

1 commentaire:

  1. Ce billet me rappelle mes cours de Droit constitutionnel de première année, le côté politique comparée en plus.

    Pour la Pologne, c'est une perte tragique qui risque de raviver les mauvaises relations entretenues avec la Russie depuis... Katyn ! Il serait dangereux que cette accident ne réveille les vieux démons et ne vienne détériorer un peu plus les rapports avec le Kremlin - mais si ça peut permettre de renouer les liens avec Bruxelles, je ne dis rien !

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