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vendredi 29 janvier 2010

Avant que la France ne se voile la face (2/2).

« Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance. Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion. »
[Voltaire]

Le rapport parlementaire portant sur le port du voile intégral (cf. mon précédent billet :  « Avant que la France ne se voile (1/2) ») a été rendu public mardi 26 janvier 2010. Comme le titre Le Point, « la mission parlementaire s'achève sur un climat tendu », sans qu’un réel consensus n'ait été trouvé bien que la majorité des groupes parlementaires ait participé à la discussion et ait évoqué l’importance d’un débat d’intérêt national.
Ainsi, après d’âpres discussions les députés n’ont pas réussi à accorder leur violon et à supplanter les clivages politiques partisans ; craignant un désaveu du Conseil constitutionnel, ils ont cherché un appui dans la « loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République » du 23 juillet 2008 [1], et y ont trouvé un palliatif sous les dispositions du nouvel article 34-1 de la Constitution, tandis qu’une loi a minima est elle aussi envisagée et concernerait l’interdiction du port du voile intégral dans l’ensemble des institutions publiques et dans les transports.

Dans la mesure où la thématique est complexe et où les options finalement retenues n’enchantent guère, il convient d’apprécier le vote d’une possible résolution parlementaire dans un premier temps avant de s’intéresser aux dispositions plus contraignantes, à l’instar de la loi ou du décret. Enfin, et pour parfaire la critique de ce rapport, il convient évidemment de souligner les nombreux problèmes induits par les solutions mises en exergue.



D'une résolution parlementaire...




Mon lecteur, en citoyen soucieux des évolutions juridiques de notre Nation, aura sûrement consulté la Constitution telle que réformée le 23 juillet 2008 et aura donc découvert qu'au beau milieu de cet embellissement constitutionnel (sic), un article 34-1 aura fait son apparition, article disposant que : 


« [l]es assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique.
Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu’elles contiennent des injonctions à son égard. »


Avant de s'intéresser à la lettre du texte, qu'est-ce, de façon plus abstraite, qu'une résolution parlementaire ?  Il serait bien innocent de croire que nôtre législateur actuel sait faire preuve d'innovation, cependant, il semble que la politique soit une affaire de cuisine et comme dit l'adage : « c'est dans les vieux plats qu'on fait les meilleures soupes ». Ainsi, sous les IIIème et la IVème Républiques, les résolutions étaient fréquemment utilisées pour mettre en cause la responsabilité du gouvernement à l'instar des systèmes britanniques et américains. Devant l'instabilité gouvernement qui a régné pendant près d'un siècle en France, la Constitution de 1958 est venu interdire ces résolutions parlementaires. Dès 1959 saisi du nouveau règlement de chacune des deux assemblées, Le Conseil constitutionnel, les a déclaré contraires à la constitution au motif qu'ils permettaient aux assemblées de voter des résolutions, or ce type d'actes n'était pas prévu par la constitution. En effet, les Sages ont estimé alors que cette faculté de voter des résolutions risquerait de permettre aux Parlements d'orienter l'action du Gouvernement en dehors des procédures prévues à cet effet, de sorte que ces résolutions violaient la Constitution qui confie au seul gouvernement le soin de conduire la politique de la nation ; le risque était notamment que le gouvernement s'estime politiquement contraint de démissionner alors même qu'aucune motion de censure n'aurait été votée. Il faudra donc attendre la révision constitutionnelle de 1992 pour voir la résolution parlementaire être partiellement remise au goût du jour : désormais, les parlementaires sont autorisés à voter des résolutions dans lesquelles ils expriment leur avis sur un projet ou un acte communautaire. Mais c'est incontestablement la réforme constitutionnelle de 2008, dont l'objectif était de revaloriser le rôle du Parlement longtemps laissé de côté au profit de l'exécutif, qui a réellement réhabilité la procédure.


Maintenant que la chronologie de cette résolution nous a permis de constater par quels moyens le législateur a réussi à remettre au goût du jour cet outil constitutionnel, passons à une brève exégèse du texte :


« Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique ».
  • Les assemblées : La France dispose d'un système parlementaire bicaméral et bicéphale, au grand dam de M. Jospin[2], l'Assemblée Nationale représente la Chambre basse, le Sénat la Chambre haute. Ne voulant pas faire de cet article un cours de droit constitutionnel de la Vème République, je me bornerai donc simplement à souligner que les deux Chambres ont désormais le pouvoir de voter des résolutions.
  • Voter des résolutions : Là encore, point de difficulté, les résolutions se votent, elles n'apparaissent pas comme la Vierge à  Medjugorje ; cela semble logique eu égard au fonctionnement du Parlement mais  il valait mieux rappeler les choses, nôtre législateur ayant tendance à faire plus de politique que de droit.
  • Dans les conditions fixées par la loi organique : Une loi organique est une loi votée par le Parlement selon une procédure plus lourde (consultation automatique du Conseil constitutionnel et nécessité de réunir une majorité absolue) en raison de l'importance de leur objet ; compléter les dispositions de la Constitution relatives à l'organisation des pouvoirs publics. En l'espèce, c'est la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009. Ainsi, les propositions de résolution peuvent être déposées à l'Assemblée ou au Sénat par un ou plusieurs parlementaires, ou par un président de groupe, de la majorité comme de l'opposition.


« Sont irrecevables [...] les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu’elles contiennent des injonctions à son égard ».
  • La glose ici semble couler de source ; devant les travers des Républiques précédentes, il aurait été plus que surprenant de voir émerger un possible contre-pied à l'exécutif. D'ailleurs, pour respecter la séparation des pouvoirs et différencier exécutif et législatif, c'est au Gouvernement de choisir sur une résolution pourra être votée ou non par le Parlement (sic). Cet état de fait s'explique, le premier ministre doit être informé de tout projet de vote au moins 48 heures avant son inscription à l'ordre du jour du Parlement, ce qui lui permet dès lors de contrôler la recevabilité de la proposition de résolution et de s'y opposer le cas échéant.
    Fondamentalement, l'esprit édicté par la Constitution de 1958 demeure : L'exécutif ne pourra pas être attaqué par le Parlement, point de motion de censure, point de résolution votée à son encontre. 


Mais au fond, quelle est la portée d'une résolution parlementaire ? où s'inscrit-elle dans l'ordre kelsénien ? 


A dire vrai, la portée d'une résolution parlementaire est plus que limitée dans la mesure où elle n'a rien de contraignant et revient simplement à expliquer, argumenter sur un sujet. Allez, car j'aime bien mes lecteurs publicistes, ça reviendrait à faire de la résolution parlementaire une circulaire administrative, acte non contraignant servant simplement à l'organisation du service, à cela près qu'on parle présentement de l'ensemble des citoyens de France et de Navarre. D'ailleurs, le président de l'Assemblée nationale résume bien l'utilité des résolutions :  « [u]ne résolution c'est une déclaration de principe », en somme  « la résolution, c'est pour expliquer. La loi, c'est pour agir ».



Et pour le port du voile intégral, à quoi servira la résolution parlementaire ? 


On touche (enfin) au nœud gordien qui nous occupe depuis plusieurs semaines : une résolution parlementaire, c'est bien quand ça sert à quelque chose car en l'espèce, ça ne risque de servir qu'à stigmatiser une partie de la population, je m'explique !

Le port du voile intégral ne concerne qu'une infime partie de la population musulmane (cf. mon billet précédent) qui, suivant les préceptes du salafisme, a décidé de tourner le dos à la culture française pour demeurer dans le rigorisme religieux, aussi intransigeant que déprécié. Les femmes portant ledit voile le font, soit par conviction, soit de force, mais dans les deux cas, la situation est faite en connaissance de cause ; venir donner une leçon d'instruction civique en rappelant les valeurs républicaines ne servirait que peu ou prou dans la mesure où cette pratique vestimentaire et religieuse permet à celles qui la pratique de sortir et de pouvoir tenter de s'intégrer à la société. 

Au fond, le risque de la résolution parlementaire est d'engendrer une stigmatisation de ces femmes voilées les repliant ainsi sur elles-mêmes et venant à renforcer un communautarisme lattant. Le pire des scénarios serait de ne plus voir de voile intégral dans les rues, car celles qui sortent ainsi couvert, ne peuvent plus sortir de chez elles, par crainte ou par honte.  Cette étape semble néanmoins passage obligé pour venir informer les jeunes filles qui n'ont pas encore l'âge de le porter ou bien celles qui s'interrogent encore ; laisser la place à l'obscurantisme religieux (surtout s'il est fanatique) serait la pire des choses à faire. 


Dès lors, si l'on tâche de considérer une résolution parlementaire comme un outil de communication législative, il est plus question d'y voir là une technique de déblaiement de terrain pour céder la place à une loi qui risque de poser bien des problèmes, tant juridiques que politiques ; mais pour une fois, le législateur aurait bien du courage de régler un problème qui perdre depuis trop longtemps.






... jusqu'à une loi ?




Légiférer, c'est bien ; réfléchir, c'est mieux[3]. C'est en substance ce qu'il convient de faire présentement, alors que nos chers députés tenter de tirer le voile vers eux, les uns arguant qu'il faut une loi interdisant le voile intégral partout alors que d'autres ne voient là qu'une injustice législative de plus. 
Pour l'heure, point d'interdiction générale, il faudra sûrement attendre la fin des régionales pour que l'UMP (dont Jean-François Copé portera l'oriflamme) ne dépose une proposition de loi interdisant de façon générale le port du voile intégral ; néanmoins une loi a minima pourrait être votée, concernant une interdiction dans les services publics.




Vu que nous ne serions que peu de chose sans le Dominique Rousseau, notamment professeur de droit et de contentieux constitutionnels à l'Université Montpellier-I, membre de l'Institut Universitaire de France et membre du Conseil supérieur de la Magistrature, il me semble opportun de prendre connaissance d'une entrevue accordée par ce dernier au Monde, le texte intégral se trouvant sur le site internet lemonde.fr. A la question de savoir si « les principes posés par le rapport de la commission parlementaire sur le voile intégral, comme l'interdiction de porter le niqab ou la burqa dans les établissements publics [...] paraissent applicables au quotidien  », le Professeur Rousseau répond :


« On peut poser des principes, mais il faut ensuite s'interroger sur leurs modalités d'application. Cette proposition n'est pas réaliste d'un point de vue pratique, et n'est pas non plus en accord juridiquement avec le mode de fonctionnement des services publics. La loi est mal placée pour régler ce type de problème, car elle est par définition "générale et impersonnelle". Or, le port du voile est le résultat d'un choix particulier. Certaines femmes le portent par conviction religieuse, d'autres par soumission à leur mari, leur frère ou leur imam… Il n'y a que des cas particuliers. Comme la loi se doit d'être impersonnelle, elle risque de se révéler injuste car elle frappe à l'aveugle et indifféremment tous ces cas particuliers. Elle risquerait en outre d'être censurée par le Conseil constitutionnel pour atteinte à la liberté individuelle et à celle de manifester ses opinions, garantie par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. » 


Si je ne suis pas d'accord avec sa définition de la loi, qui peut répondre à des cas particuliers si tant est qu'elle demeure toujours impersonnelle, je rejoins son avis sur le risque d'une possible censure du Conseil constitutionnel. 
Depuis toujours, la loi vient garantir les droits et les devoirs des citoyens, si elle ne doit jamais être votée en faveur ou à décharge d'untel ou d'untel autre, rien n'empêche à la loi de concerner certaines catégories de la population ; dire l'inverse reviendrait à dire qu'aucune loi n'a jamais été votée concernant les handicapés, les retraités,... Ainsi, voter une loi interdisant de cacher son visage resterait impersonnelle quant bien même certains y verraient là une situation particulière (sic).  
Concernant le risque de censure du Conseil constitutionnel, il faut aussi rappelé le principe de laïcité et souligner que des textes comme la Charte sur la laïcité viennent empêcher à un agent public de porter le voile[4], ainsi, il sera incontestablement question de politique juridique de la part des Sages s'ils venaient à devoir se poser la question de la constitutionnalité d'un tel texte. 


Il n'en demeure pas moins qu'il faille désormais agir et non plus se contenter de réagir en instaurant une loi qui vienne à garantir le respect de nos institutions et des valeurs morales républicaines. A cela, la question d'une interdiction dans les services publics reviendrait à considérablement restreindre le port du voile dans un premier temps et permettant en renforcer sur mettant l'accent sur les dispositions déjà en vigueur. 
Autant j'ai une réellement aversion pour la législation de fait divers, autant je considère qu'une loi, sans être la panacée, serait un remède permettant de remettre nôtre petite bonhomme de pays sur les rails du respect de la laïcité et de la tolérance de l'égalité.




Vers une banalisation du voile non-intégral 




Finalement, cette stigmatisation du port du voile intégral est quelque peu l'arbre qui cache la forêt car derrière elle apparaît la banalisation du voile non-intégral. La France a contrario du Royaume-Uni n'est pas (encore) communautarisée et c'est donc peut-être en décidant de frapper fort que l'on refera jaillir les bienfaits de la Révolution française : La liberté, l'égalité et la fraternité se lisant à l'aune de la volonté générale plutôt qu'à celle des intérêts personnels. Aujourd'hui, il n'est plus question de chrétiens, de juifs, de musulmans, d'hindous, mais simplement de français vivant dans un seul et même pays.
Le port du voile, fut-il intégral ou non ne correspond plus à la France moderne, ouverte à tous tant que les règles sont correctement suivies.


Le respect de la foi et du culte est disposé par les textes, tout comme le respect de la laïcité ; faisons donc en sorte que ces deux notions s'entendent avant qu'elles ne s'entretuent car le vainqueur sera malheureusement tout désigné.




Omnibus 




[1] : Loi constitutionnelle plus connue sous la dénomination de « révision constitutionnelle de  2008 ».


[2] : En 1998, le premier ministre d'alors qualifiait dans l'édition du 21 avril du Monde que le Sénat était une  « anomalie parmi les démocraties » et qu'il représentait une « survivance des Chambres hautes conservatrices ». Peut-être que la ire des sénateurs contribua à la fuite de M. Jospin pour l'île de Ré suite à débâcle du parti socialiste aux présidentielles de 2002 et à sa perte de légitimité.


[3] : Je tiens à remercier Frédéric Lefebvre, animal politique français et accessoirement porte-parole de l'UMP, de nous permettre de rire après une longue journée de travail. En effet, ce dernier a rappelé ô combien la réflexion était l'ennemi du juriste en déclarant à grand renfort de sourires hypocrites (ou peut-être niais) :  « [A] force de réfléchir avant de légiférer, on reste immobile » ; cette phrase rejoindra sûrement toutes celles qui pourront peut-être figurer un jour sur son épitaphe. 


[4] : Un agent de police passe en conseil de discipline pour avoir porté le voile malgré une suspension ; à lire sur le parisien.fr.

4 commentaires:

  1. Article clair, précis, soigné. Analyser les questions de société d'une manière juridique est un exercice intéressant, beaucoup plus plaisant à lire que la logorrhée journalistique se rapportant au sujet.

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  2. Le journalisme, le vrai, se meurt depuis plusieurs années maintenant. Lorsque je parcours certains articles se voulant être "juridiques" je suis parfois à deux doigts de m'étouffer, voyant un "la loi stipule en l'espèce que [...]" ou un "le présumé coupable".


    Pauvre époque, pauvres gens ; vers quoi le journalisme de comptoir va-t-il bien nous mener ?

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  3. Une réflexion pertinente et un article clair. Dans un pays où les lois religieuses priment sur les lois "populaires", le port de la burqa semble banal, une coutume tel que pourrait l'être le port du sari en Inde mais dans un pays tel que le nôtre, laïc avec une constitution approuvée par le peuple, le port dudit bout de tissu semble poser plus de difficultés, à la fois pour le gouvernement mais également pour le peuple français, ce qui est compréhensible.

    Nous avons déjà eu un avant-goût du débat avec l'autorisation du port Burkini, ce maillot de bain si féminin, dans certaines piscines municipales.

    Si l'on continue dans cette lancée; à quand la création de multiples boutiques "Burqa Fashion" ou "Niqab Shop" et la banalisation d'un tel accoutrement ?

    Jamais je l'espère.

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  4. Le 12 mars dernier, le prince saoudien al-Faysal, gouverneur de La Mecque, demandait aux musulmans de France dans les colonnes du Figaro de respecter les lois nationales a contrario des coutumes religieuses, je cite : " Chez nous, je demande aux pèlerins de respecter nos règles. Je demande la même chose aux musulmans qui habitent en France. S'ils ne veulent pas obéir à ses lois, ils ne devraient pas vivre en France ".

    Je ne peux que féliciter son intervention et le remercier pour son constat : le respect des règles du pays dans lequel on se trouve. Comme il me semble normal de respecter les lois saoudiennes lorsque l'on s'y trouve, il est attendu que les lois françaises soient respectées lorsque l'on s'y trouve aussi.

    En tout état de cause, cela ne vient pas pour autant contraindre le simple port du voile non-intégral, qui se banalise dans les rues mais qui est de plus en plus mal perçu.

    Il ne reste plus qu'à trouver un nouvel Aristide Briand pour que la laïcité retrouve tout son sens !

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